Les « héros » ivoiriens
Faut-il à la génération actuelle des jeunes Ivoiriens des héros ? Comprenons ici par héros des modèles. Mais quels types de modèles ? Bien entendu, pas n’importe lesquels. La question paraît banale, peut-être inutile. Cependant, elle vaut la peine d’être posée et débattue. En effet, en Côte d’Ivoire aujourd’hui, on présente à la jeunesse ivoirienne de faux modèles, des modèles trafiqués, purs produits de contrebandes militaro-politiques, des parvenus dont les mains dégoulinent encore et suffisamment du sang de leurs victimes innocentes égorgées et éventrées. On présente à la jeunesse ivoirienne des modèles en treillis et en armes, des héros encagoulés à la gâchette facile, guérilléros de première classe. Et ce sont eux qui ont pignon sur rue dans la société ivoirienne actuelle. Il fut même un moment où les intellectuels de ce pays, des universitaires de renommée internationale étaient en prison pendant que des analphabètes régnaient avec terreur sur l’ensemble de la population. Et, pour notre malheur, on nous les présentait comme des « libérateurs », des « démocrates », des « héros » ! Les autres étaient traités de « terroristes », de « génocidaire » ! Ce sont ces « héros » ivoiriens, derniers cris, qui parcourent tout le pays aujourd’hui, armes en mains, pour tenir des discours à notre jeunesse, parrainer toutes ses activités et même, à l’occasion, faire des « dons » dans nos églises, temples et mosquées. Pendant ce temps, on interdit l’accès de certaines parties de ce pays à d’autres groupes, à des intellectuels. Et on ne manque pas de nous rabâcher que ce sont avec ces « héros » ignares que notre « émergence » adviendra à « l’horizon 2020 ». Le danger ici, et qui est réel, est qu’il s’agit de faux modèles, des modèles artificiels et factices, de réputation surfaite, sans aucune base intellectuelle et morale, et reconnus par tous comme tels, qui ont pris le pays en otage et le pillent systématiquement pour leurs propres intérêts et ceux de leurs bandes et clans. Une telle conception du modèle et du héros conduit à vider les bibliothèques des écoles, collèges, lycées et universités de leurs livres et remplir les casernes de dozos, de soldats et d’armes. Ceux-ci servent à protéger leurs intérêts. Alors que les livres ne servent à rien. D’ailleurs cela a été clairement dit par l’un des leurs, à savoir que les Lettres et les Sciences humaines ne servent à rien, elles ne peuvent pas construire notre « émergence ». A propos justement d’émergence, il appartient à ceux qui en font leur slogan de dictature de nous dire clairement ce qu’elle est pour eux-mêmes. Je puis parier qu’ils n’en savent pas grande chose. Sinon, ils mettraient en valeur les modèles et les vrais héros qu’il faut pour y parvenir aussi bien dans le temps que dans l’espace. Selon le sage Sud africain, « ceux qui affrontent les problèmes qui se présentent à eux et qui embrassent les croyances universelles qui ont changé le cours de l’histoire dans de nombreuses sociétés recevront, l’heure venue, le soutien indéfectible et l’admiration de tous, bien au-delà des rangs dont ils sont issus » (Nelson Mandela, Pensées pour moi-même, 2011, p.223). Quels seront nos « héros » et « modèles » qu’on a fabriqués chez nous au bout des fusils en traumatisant et humiliant le peuple ? Toujours selon notre sage, « ils sont peu nombreux, ceux dont on se souvient longtemps après qu’ils on vécu. On se souvient de certains avec effroi à cause de ce qu’ils ont fait. » (Idem, p.224). Les pays émergés et développés d’aujourd’hui ont des modèles qu’ils vénèrent, dont ils enseignent et inculquent les vertus et la gloire à leur jeunesse dans leurs écoles, collèges, lycées et universités. Et ces héros ne sont pas en exil ou en prison ou assignés à résidence ou encore déportés. Développement rime indubitablement avec modèles et héros. Le premier ne peut pas aller sans les autres. Un pays qui n’en a pas ou qui ne les promeut pas ou encore les méprise, ne peut jamais émerger (même avec une canne magique) encore moins se développer. Cela est davantage vrai quand il exhibe de faux modèles ou alors quand il vénère des modèles et héros qu’il importe et impose au peuple.
P.S : Pour ajouter à ce que je viens d’écrire, il est triste d’apprendre qu’au Cameroun, Ahoua Don Melo, ingénieur ivoirien des ponts et chaussées, a été séquestré à l’aéroport de Yaoundé alors qu’il partait pour une mission intellectuelle au Maroc. Dans cette même ville, un chef rebelle ivoirien, Soro Guillaume, qui n’a jamais essayé d’écrire un simple mémoire de stage, se la coulait douce et a même eu l’autorisation de cracher dans les micros du parlement camerounais ! Voilà comment ceux qui nous gouvernent aujourd’hui par les armes et leurs complices africains traitent leurs intellectuels et ceux qui les ont installés dans leur fauteuil par les armes